Le microbiote buccal – Chapitre 4

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Le microbiote buccal – Chapitre 4

Les connaissances sur le microbiote buccal ont connu de grandes avancées récentes, grâce à des révolutions techniques et scientifiques. Ces progrès engendrent une révision complète des concepts expliquant les maladies parodontales. Nous proposons dans cette chronique un panorama des nouvelles découvertes, basé sur l’excellente publication Perio 2000 (volume 86, 2021). Les concepts sont tellement nouveaux que tout un vocabulaire spécifique a été créé pour décrire ces phénomènes, c’est pourquoi vous trouverez un lexique à la fin de la chronique, qui donne la définition des termes en gras dans le texte.

 

Chapitre 4 : signature bactérienne de la santé, de la gingivite et des parodontites

 

Principalement tiré de l’article de Loreto Abuselme et collaborateurs, de l’université de Santiago (Chili), paru dans le journal Perio 2000 en 2021. (86:57-78.)

 

Jusqu’à présent, environ 500 espèces bactériennes ont été identifiées dans la plaque dentaire.  La technique classique d’étude de ces bactéries était la culture bactérienne : il s’agissait de prélever de la plaque dentaire en bouche, et de faire croître les colonies bactériennes ainsi récoltées dans un milieu de laboratoire, comme une boîte de Petri. Cette technique avait de nombreuses limites : certaines bactéries ne survivaient pas au prélèvement, et l’ensemble de la biologie très complexe du biofilm n’était pas reproduite fidèlement dans le milieu de laboratoire. Ainsi, le nombre de bactéries identifiables par culture était limité, et la compréhension de leur fonctionnement était également largement partielle.

 

Plus récemment, de nouvelles techniques d’étude des bactéries ont révolutionné la connaissance du microbiote buccal : le séquençage génomique haute fréquence est une méthode qui consiste à identifier le code génétique des bactéries. Si la technique existe depuis 30 ans, elle a été constamment améliorée depuis. Elle permet aujourd’hui de détecter beaucoup plus de bactéries présentes dans la plaque dentaire, et de mieux comprendre leurs interactions. La technique cible plus précisément l’ARN ribosomal 16s, qui est présent chez toutes les bactéries et qui est spécifique à chaque espèce : ce ciblage permet de coder partiellement l’ADN d’une bactérie, et évite d’avoir à séquencer la totalité du génome. Cette technique rend le séquençage plus rapide, moins cher et plus accessible pour les recherches.

 

Ce séquençage permet de détecter les modifications de la composition du microbiote entre la santé parodontale, la gingivite ou la parodontite. Les nouvelles données confirment les précédentes conclusions : la composition du microbiote est fortement liée à l’état de santé du parodonte. En d’autres termes, les proportions des bactéries présentes dans le microbiote sont très différentes en cas de santé ou de pathologie.

 

La gingivite est une réponse à une augmentation du nombre de bactéries dans le microbiote buccal. Différentes « vagues » d’espèces différentes colonisent cette plaque dentaire, venant ainsi aggraver la maladie parodontale. Il est unanimement reconnu que le fait d’arrêter de se brosser les dents (gingivite expérimentale) mène inexorablement à une inflammation des gencives, qu’on appelle la gingivite. Dans ce cadre, le changement de composition du microbiote aboutit à la création de nouvelles niches colonisées par les bactéries (augmentation de la profondeur du sillon gingivo-dentaire par exemple). La traduction microbiologique (c’est-à-dire la composition bactérienne du biofilm) est une « dysbiose » du microbiote : l’augmentation de la charge bactérienne, puis l’arrivée de nouvelles espèces aboutissent à un déséquilibre des relations entre l’hôte et sa communauté microbienne.

 

Porphyromonas Gingivalis est une bactérie commune dans les gingivites. Elle a été appelée bactérie « pierre angulaire » de la gingivite, car elle a une action sur l’ensemble des autres bactéries. Cette bactérie est retrouvée dans les microbiotes sains, aussi appelés symbiotiques, mais en petite quantité. En cas de gingivite, elle se développe en grande quantité et devient dominante. L’inflammation fournit les conditions de développement de cette bactérie : quand les gencives sont inflammées, le fluide gingival (sorte de salive excrétée par le sillon gingival) contient des glycoprotéines dont se nourrit Porphyromonas Gingivalis. Ainsi, la gingivite est un cercle vicieux : les bactéries habituellement présentes en faible quantité se développent progressivement dans la plaque dentaire, puis provoquent de l’inflammation, et cette inflammation fournit les nutriments nécessaires au développement d’une colonie plus importante de ces bactéries qui, en grande quantité deviennent plus agressives.

 

L’étape suivante est la parodontite. Il s’agit alors d’une inflammation des gencives accompagnée d’une destruction tissulaire. Cette destruction est le résultat de l’action synergique de plusieurs bactéries. Connaître les bactéries présentes dans les microbiotes spécifiques de la santé parodontale, de la gingivite et de la parodontite pourrait permettre de mieux comprendre le basculement d’un état à l’autre. Car à ce jour, les facteurs déclenchants le passage d’un état à l’autre reste inconnus : si l’augmentation de la charge bactérienne est une condition indispensable pour le passage d’un état sain à un état pathologique, cette augmentation ne déclenche pas de parodontite chez tous les patients.

 

Richesse et diversité des différents microbiotes

L’alpha-diversité est un concept utilisé pour décrire la diversité et la répartition des espèces bactériennes dans un microbiote donné. Les alpha-diversités des microbiotes buccaux sont différentes selon que le patient est en état de santé parodontale, de gingivite ou de parodontite : le nombre d’espèces bactériennes est plus faible en état de santé, plus élevé en cas de parodontite et maximum en cas de gingivite. L’accroissement du nombre d’espèces bactériennes en cas de gingivite s’explique par la colonisation du biofilm par de nouvelles bactéries, sans remplacement des espèces initialement présentes.

 

L’alpha-diversité mesure aussi la distribution de ces bactéries. Lors du passage de la gingivite à la parodontite, le nombre d’espèces bactériennes ne diminue pas, mais certaines espèces deviennent largement dominantes. Ainsi, la richesse ne diminue pas mais la distribution se concentre sur certaines espèces, ce qui explique une alpha-diversité moindre en cas de parodontite qu’en cas de gingivite.

 

Espèces associées à la santé parodontale

Les bactéries présentes en cas de santé parodontale sont essentiellement des bactéries aérobies (c’est-à-dire vivant en présence d’air). Leurs facultés principales sont des propriétés d’adhésion et d’agrégation, car elles sont impliquées dans les étapes d’élaboration primaire du biofilm (voir chapitre 3). Ce fait était déjà connu grâce aux cultures bactériennes, mais les dernières avancées de la recherche viennent confirmer ces caractéristiques des microbiotes sains. Il corrobore par ailleurs l’idée selon laquelle un microbiote sain est un microbiote dont le biofilm est désorganisé régulièrement par un brossage méticuleux, et par une maintenance parodontale régulière (détartrages).

 

Espèces associées à la gingivite

Contrairement aux microbiotes associés à la santé parodontale, ceux associés à la gingivite contiennent majoritairement des bactéries anaérobies (c’est-à-dire vivant à l’abri de l’oxygène). Ce fait bien connu depuis des années s’explique par la création d’une nouvelle niche écologique : avec le gonflement inflammatoire de la gencive, les bactéries anaérobies se développent plus facilement dans le sillon gingivo-dentaire. Les espèces bactériennes les plus représentées en cas de gingivite sont Leptotrichia, suivie de Fusobacterium Nucleatum, qui sont donc des anaérobies.

 

Espèces associées à la parodontite

Comme pour la gingivite, les espèces surreprésentées dans le microbiote des parodontites sont des anaérobies. Nombre d’entre elles étaient cultivables, et sont donc identifiées depuis longtemps : Porphyromonas Gingivalis, Tannerella Forsythia, Treponeme Denticola. D’autres ont été découvertes par la technique plus récente de séquençage génomique haute fréquence : Freitbacterium et Saccharibacteria par exemple. Ces études montrent que le fardeau bactérien de la parodontite est très différent de celui de la gingivite, avec une très forte abondance des espèces les plus pathogènes. Les caractéristiques de ce microbiote sont dans la continuité de celui observé dans la gingivite, avec une surreprésentation proportionnelle croissante des pathobiontes les plus agressifs (bactéries capables de créer des parodontites). A noter : les bactéries responsables de la parodontite sont des bactéries pour la plupart naturellement présentes dans le microbiote sain, mais à des concentrations très faibles. Leur développement est dû, comme dans le cadre de la gingivite, à un enrichissement du milieu nutritionnel de ces bactéries, grâce à l’exsudat inflammatoire.

 

Les espèces « noyau »

Les nouvelles techniques de séquençage ont permis de mettre en évidence des bactéries qu’on appelle « noyau » (« core species » en anglais) : ce sont des espèces bactériennes qu’on retrouve invariablement dans tous les microbiotes, c’est-à-dire qu’elles forment un noyau commun aux microbiotes sains et pathologiques. Campylobacter Gracilis et certaines souches de Fusobacterium Nucleatum en sont des représentantes. Une de leur fonction est l’élaboration du biofilm. C’est le cas de Streptococcus Gordonii, qui permet la croissance de la plaque dentaire. Cette découverte explique pourquoi la plaque dentaire se développe chez des patients sans pathologies parodontales : les microbiotes sains comprennent des bactéries performantes pour élaborer la matrice extracellulaire (voir chapitre 3).

 

On trouve dans ce noyau invariable une espèce capable de biosynthétiser l’hème. Veillonella fabrique cet hème, qui est une molécule entrant dans la composition de nombreux éléments du vivant, dont l’exemple le plus connu est l’hémoglobine. Mais elle entre aussi dans la composition des métalloprotéinases, qui sont des enzymes fortement impliquées dans la destruction parodontale. Ces résultats supportent l’idée selon laquelle les espèces noyaux jouent un rôle important dans la transition de l’état sain à l’état pathologique, car leur concentration reste constante d’un état à l’autre. Ce sont des facilitateurs de dysbiose. Et elle pourrait peut-être nous livrer le secret de la bascule d’un état à l’autre, qui reste aujourd’hui largement incomprise. En effet, à quantité de plaque dentaire égale, certains patients vont passer en état inflammatoire pathologique (parodontite) alors que d’autres non.

 

Co-occurrence de certaines bactéries

Ces études taxonomiques ont également permis de découvrir que certaines espèces étaient fortement associées entre elles. On parle d’organisation en réseau de bactéries, et le schéma présenté ci-dessus montre les réseaux de bactéries retrouvés, respectivement dans les états de santé parodontale, de gingivite et de parodontite. L’idée principale est que l’initiation de la pathologie parodontale (gingivite ou parodontite) découle de l’association de certaines fonctions de différentes espèces bactériennes.

 

D’un point de vue diagnostic, la détection de certaines associations de pathobiontes (capables de déséquilibrer le microbiote), pourrait mener à la détection précoce de patients à risque. Par exemple, une bactérie non cultivable (c’est-à-dire inconnue tant que le séquençage génomique haute fréquence n’était pas disponible) Veillonellaceae HMT 155 est le principal noeud (hub en anglais) connectant la plupart des bactéries impliquées dans l’avènement de la gingivite. Sa détection dans un microbiote sain pourrait mener à une prise en charge préventive efficace du patient porteur de cette bactérie.

 

Une autre bactérie non cultivable, Saccharibacteria TM7, ne semblait pas avoir de fonction propre avant la découverte de ces réseaux. Il s’agit d’une petite bactérie avec un génome qui ne code que pour quelques protéines aux fonctions restreintes, et dont la survie dépend à ce titre d’autres espèces auxquelles elle est associée. Or, une des espèces à laquelle elle est fréquemment associée est la bien connue Porphyromonas Gingivalis, bactérie « pierre angulaire » de la parodontite. Cette bactérie nouvellement découverte, et fortement associée à Porphyromonas Gingivalis, pourrait jouer un rôle clé dans le développement de celle-ci, et permettre de mieux comprendre la bascule de la gingivite à la parodontite.

 

Conclusions

 

Grâce aux nouvelles technologies, nous avons accumulé ces dernières années une somme de nouvelles connaissances sur les microbiotes. La concentration des recherches sur un petit nombre de bactéries responsables de la parodontite est obsolète : un nouveau modèle étiopathogénique (qui explique la cause de la maladie) est en train d’émerger. Ce modèle s’appuie sur la compréhension des interactions entre les nombreuses bactéries présentes, et il est basé sur des études taxonomiques plus complètes (identification de nouvelles souches bactériennes jusqu’alors inconnues). C’est pourquoi on décrit désormais la parodontite comme une dysbiose d’une communauté polymicrobienne.

 

Dans ce cadre, la cartographie en réseaux décrite dans cet article apporte des pistes de recherches importantes. La raison de la bascule de la gingivite vers la parodontite, observée cliniquement chez certains patients mais pas chez d’autres, ou chez certains patients à certains moments mais pas à d’autres, reste à découvrir. L’objectif final est de manipuler le microbiote, afin de prévenir ce switch d’une pathologie réversible sans séquelles (la gingivite) à une pathologie très destructrice pour le parodonte (la parodontite). À ce titre, l’attention des chercheurs et des thérapeutes pourrait être attirée sur les bactéries compatibles avec la santé : la stratégie d’élimination des parodontopathogènes (ancien terme utilisé pour désigner les pathobiontes), qui prévalait jusqu’alors dans les traitements de la parodontite, pourrait laisser place à une stratégie de préservation d’espèces protectrices, empêchant le développement de la pathologie. En effet, le but des traitements parodontaux est aujourd’hui le rétablissement d’un microbiote symbiotique, c’est-à-dire d’un microbiote protecteur pour les patients et leur parodonte. 

 

Lexique

 

AÉROBIE : se dit d’une bactérie vivant en présence d’oxygène. En parodontologie, les bactéries aérobies sont donc les bactéries qui vivent sur les dents en dehors du sillon gingivodentaire, et qui sont donc plutôt constitutives du microbiote sain.

ALPHA-DIVERSITÉ : aussi appelée richesse spécifique, il s’agit d’une mesure de la biodiversité d’un écosystème. Cette mesure quantifie le nombre d’espèces présentes dans un microbiote.

ANAÉROBIE : se dit d’une bactérie ayant du mal à survivre en présence d’oxygène. En parodontologie, les bactéries anaérobies sont donc les bactéries qui vivent dans le sillon gingivodentaire ou dans les poches parodontales, et qui sont donc plutôt constitutives du microbiote pathologique.

ARN RIBOSOMAL 16S : marqueur taxonomique standard, c’est-à-dire que c’est une portion du code génétique d’une bactérie, qui lui est spécifique et qui rend possible son identification, et qui est suffisamment petit pour rendre le séquençage rapide et économique. Il existe une banque de données de plusieurs millions d’ARN ribosomaux 16s, ce qui permet une identification facile. On appelle cet ARN 16s le « code barre » des bactéries.

BIOFILM : organisation des bactéries, qui consiste en une matrice extracellulaire dans laquelle elles s’enchâssent, afin d’être protégée de toute agression extérieure. La plaque dentaire est l’ensemble constitué par le biofilm et par les bactéries présentes en son sein.

CULTURE BACTÉRIENNE : technique de laboratoire qui vise à faire se développer des bactéries prélevées chez un humain dans un milieu de croissance in vitro.

DYSBIOSE : déséquilibre dans un microbiote aboutissant à différentes pathologies.

GINGIVITE : maladie inflammatoire des gencives, d’origine bactérienne, et dont la principale caractéristique est d’être réversible, c’est-à-dire qu’un retour à l’état initial est possible après traitement.

METALLOPROTÉINASE : enzyme contenant un ion métallique qui participe à la destruction du parodonte (gencive et os essentiellement) dans le cadre de la parodontite (déchaussement).

MICROBIOTE : ensemble des bactéries vivant dans une niche écologique donnée.

PATHOBIONTES : bactéries présentes naturellement dans le microbiote buccal, mais potentiellement agressives pour le parodonte. Elles sont responsables de la parodontite, lorsque leur population dépasse une certaine concentration. Le terme pathobionte a remplacé parodontopathogène, qui désignait les mêmes bactéries, mais laissait entendre que seules quelques bactéries étaient responsables de la parodontite. Le terme pathobionte permet de mieux prendre en compte le phénomène de dysbiose.

PARODONTITE : maladie aussi appelée déchaussement des dents, d’origine bactérienne, et qui aboutit à la destruction du parodonte, c’est-à-dire des tissus de soutien des dents, au premier rang desquels la gencive et l’os de soutien des dents.

SANTÉ PARODONTALE : état du parodonte défini par le dernier consensus de parodontologie (2018) comme une absence de perte d’attache (déchaussement) et un indice de saignement inférieur à 10% (inflammation très faible de la gencive).

SÉQUENÇAGE GÉNOMIQUE HAUTE FRÉQUENCE : technique récente d’identification des bactéries en présence dans un milieu biologique.

SYMBIOSE : état de santé du microbiote buccal, signifiant que l’hôte et son microbiote vivent en harmonie.

TAXONOMIQUE : se dit d’une étude qui permet d’identifier et de classer les bactéries. La nouvelle microbiologie, développée grâce aux techniques de séquençage ADN, a pour base une taxonomie plus exhaustive des bactéries impliquées dans les pathologies comme la parodontite.



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