Le microbiote buccal – Chapitre 2

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Le microbiote buccal – Chapitre 2

Les connaissances sur le microbiote buccal ont connu de grandes avancées récentes, grâce à des révolutions techniques et scientifiques. Ces progrès engendrent une révision complète des concepts expliquant les maladies parodontales. Nous proposons dans cette chronique un panorama des nouvelles découvertes, basé sur l’excellente publication Perio 2000 (volume 86, 2021). Les concepts sont tellement nouveaux que tout un vocabulaire spécifique a été créé pour décrire ces phénomènes, c’est pourquoi vous trouverez un lexique à la fin de la chronique, qui donne la définition des termes en gras dans le texte.

 

Chapitre 2 : interactions entre l’hôte et ses microbiotes

 

Principalement tiré de l’article d’Heidi GOODRICH-BLAIR, de l’université du Tennessee USA, paru dans le journal Perio 2000 en 2021. (86:14-31.)

 

A la lueur des dernières découvertes sur les microbiotes, la santé est définie comme une symbiose, c’est-à-dire des interactions étroites et à long terme entre le microbiote buccal et l’hôte. Cette symbiose est mutuelle, c’est-à-dire que les bactéries comme l’hôte tirent des bénéfices de l’association. Lorsque les bénéfices sont à sens unique, on parle de parasitisme, et non plus de symbiose. Ces bénéfices sont multiples. Ils peuvent concerner l’alimentation, les défenses contre des bactéries agressives ou encore la reproduction.

 

La symbiose est le résultat de l’évolution à grande échelle : l’harmonie de ces interactions découle de millénaires d’interactions, la sélection naturelle ayant favorisé les échanges fructueux. La transmissibilité verticale du microbiote d’une génération à l’autre permet de conserver les atouts conférés par les interactions les plus utiles, et la transmission horizontale permet l’acquisition de nouvelles fonctions. Ainsi, la symbiose entre le microbiote et l’hôte est un phénomène adaptatif.

 

Par contraste, la maladie, et tout spécialement la maladie parodontale (gingivite ou parodontite) prend alors le nom de dysbiose : la dysbiose correspond à un déséquilibre du microbiote buccal, par exemple une surexpression ou une activation de bactéries potentiellement agressives, et cette dysbiose est opportuniste et temporaire.

 

Symbiose nutritionnelle

La symbiose nutritionnelle concerne la totalité du monde biologique. Chez tous les vertébrés, y compris chez les humains, les partenaires intestinaux microbiens fournissent des enzymes permettant de transformer certains composés alimentaires, initialement inexploitables par l’organisme de l’hôte, en composés bénéfiques pour celui-ci. Ces fonctions sont en outre adaptatives : des chercheurs ont montré que l’ajout d’algues à l’alimentation engendrait une adaptation du microbiote intestinal, permettant à l’hôte de digérer ces substances rares dans l’alimentation humaine.

 

Les exemples d’interdépendances nutritionnelles entre les animaux et leur microbiote sont nombreux. Les herbivores, de la vache à la termite, ont besoin des bactéries de leur microbiote pour digérer les nombreuses fibres qu’ils ingèrent (la lignocellulose notamment). La sève des arbres est indigeste pour les pucerons de bois sans l’aide de leur microbiote. Et nombre de carnivores digèrent le sang de leurs proies uniquement grâce à leurs bactéries.

 

Au-delà de la digestion, certaines vitamines indispensables à la vie sont synthétisées par les bactéries. C’est notamment le cas de la vitamine B12. Les producteurs primaires de B12 sont des bactéries qui vivent en symbiose nutritionnelle avec leur hôte. Tous les animaux ont besoin de B12, mais rares sont ceux qui sont autosuffisants : les vaches obtiennent leur vitamine B12 grâce à leur microbiote intestinal, et son assimilation est rendue possible par leur processus complexe de digestion (allers et retours entre l’estomac et la bouche). D’autres herbivores n’ont pas cette possibilité : les lapins fabriquent de la B12, mais ne peuvent l’assimiler que parce qu’ils sont coprophages (ils mangent leurs crottes). Enfin, les carnivores ne trouvent la B12 que dans la chair des herbivores. La vitamine B12 circule ainsi dans la chaîne alimentaire grâce aux bactéries. C’est pourquoi toute interruption de la chaîne alimentaire fait courir un risque à tous les êtres vivants.

 


Le mystère des algues riches en vitamine B12

Croft et al. Algae acquire vitamin B12 through a symbiotic relationship with bacteria. Nature 2005. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16267554/

 

La vitamine B12, ou cobalamine, a été identifiée il y a presque 100 ans, et son importance pour la santé humaine ne fait plus débat. Elle est notamment indispensable au bon fonctionnement du foie, dans lequel elle est très concentrée, mais aussi pour les systèmes nerveux et vasculaires. Les plantes ne contiennent pas de vitamine B12, on la trouve exclusivement dans les produits d’origine animale. C’est pourquoi les végétariens, et plus encore les végétaliens, doivent prendre des compléments alimentaires de vitamine B12 pour rester en bonne santé.

La synthèse de la vitamine B12 est très complexe, et requiert au minimum 19 réactions enzymatiques différentes. Les plantes étant dépourvues de ces enzymes, on ne trouve la B12 que dans les produits d’origine animale. Pourtant, des chercheurs ont identifiés des algues marines très concentrées en B12, indispensable à leur survie. L’origine de cette vitamine dans un produit végétal était alors un mystère. On dit de ces algues qu’elles sont auxotrophes, c’est-à-dire qu’elles ont besoin d’un élément qu’elles ne synthétisent pas pour leur croissance et leur santé. L’homme est donc auxotrophe, comme ces algues.

Les chercheurs ont découvert que ces algues tiraient leur vitamine B12 d’une symbiose mutuelle avec leur microbiote, comme les herbivores : les bactéries leur fournissant la B12 se nourrissent des produits de la photosynthèse des algues (carbone organique). A ce jour, c’est le seul modèle de production de B12 non réalisé par le microbiote d’un animal. Ces algues pourraient dont être des compléments alimentaires intéressants pour les humains.

Mais de façon plus générale, les chercheurs concluent l’article sur l’importance de ces bactéries pour l’équilibre de tout l’écosystème : ces algues retiennent plus de 50% du CO2 capté par les océans, et ne peuvent pas vivre sans la symbiose qu’elles entretiennent avec leur microbiote.


 

Symbiose défensive

Les fonctions des différentes bactéries présentes dans les microbiotes sont très larges : elles sont capables de produire un grand panel de substances bioactives, dont des molécules toxiques et des molécules de défense contre les micro-organismes agressifs. Un microbiote symbiotique est ainsi une protection efficace contre les infections et les parasites. Il permet de se protéger contre certains toxiques, par exemple les pandas sont capables de manger des feuilles toxiques, grâce aux capacité inhibantes de ces toxiques par leur microbiote intestinal. De même, certaines épidémies ravageant les cultures s’expliquent par les interactions entre les différents organismes vivants. Des espèces invasives ont pu le devenir grâce à une adaptation de leur microbiote : le scarabée rouge tuant les pins a acquis la résistance aux défenses naturelles des pins (la naringénine) grâce à son microbiote.

 

La symbiose défensive inclut aussi des mécanismes de compétition entre les différents micro-organismes. Cette compétition permet une répartition des différents types de bactéries spécifiques à chaque microbiote et à chaque individu. La colonisation initiale de certains milieux spécifiques dépend des capacités des souches bactériennes d’y trouver leurs nutriments. Puis, leur subsistance dans le milieu est basée sur une pression sélective : certaines bactéries épuisent les ressources utiles à d’autres, ou ont la capacité de les utiliser plus rapidement ou, de façon plus directe, secrètent des protéines toxiques pour les nouveaux candidats.

 

Dans le microbiote buccal par exemple, on sait que les bactéries nocives pour le parodonte (pathobiontes) inhibent celles qui provoquent les caries. Ce phénomène microbiologique (à l’échelle des bactéries) a une traduction épidémiologique (à l’échelle de la population humaine) : certains patients indemnes de caries à 30 ans le sont car des bactéries potentiellement destructrices pour le parodonte étaient présentes dans leur microbiote depuis la naissance. Ainsi, ces bactéries en faible concentration les ont protégés des caries dans la première partie de leur vie, et ces mêmes bactéries provoquent alors un déchaussement des dents (parodontite) en se développant à l’âge adulte. Ces patients ont souvent peu l’habitude de consulter, et lorsque la parodontite commence à bas bruit, ils comprennent souvent tardivement qu’il faut consulter.

 

Symbiose contextuelle

On appelle microbiome l’ensemble du microbiote et de son habitat naturel. Le contexte est un facteur important pour le microbiote. Ainsi, certaines espèces de bactéries incluses dans le microbiote du nasopharynx y sont inoffensives, mais deviennent nuisibles si elles se retrouvent dans un autre environnement. Autre exemple : le staphylocoque doré est une des bactéries les plus agressives pour l’homme lorsqu’elle se retrouve à l’intérieur de l’organisme. Mais sa virulence est modérée lorsqu’elle est cultivée avec une bactérie de la peau appelée corynébactérie striatum, elle serait donc moins nocive quand elle reste sur la peau. Ainsi la compréhension de l’action de ces bactéries ne peut pas se passer de cocultures.

 

La question de l’influence de l’alimentation de l’hôte sur la symbiose est de première importance, spécialement dans le cadre du microbiote buccal humain. Toutefois, cette question reste controversée dans la littérature. Certains modèles animaux, notamment sur des petits crustacés appelés daphnies, ont pu montrer que la symbiose du microbiote était stable avec différentes alimentations des animaux. Inversement, comme dans le modèle humain précédemment évoqué, le microbiote de l’hôte pourrait s’adapter à son alimentation, et l’aider à métaboliser certains aliments inhabituels comme des algues. Sur ce point, les microbiotes de la bouche et de l’intestin sont très différents : le microbiote intestinal peut s’adapter en fonction de l’alimentation, alors que le microbiote buccal reste assez stable malgré les changements alimentaires (voir le chapitre ultérieur « résilience du microbiote buccal »).

 


Les transplants fécaux peuvent sauver les koalas australiens

Blyton et al. Faecal inoculations alter the gastrointestinal microbiome and allow dietary expansion in a wild specialist herbivore, the koala. Anim. Microbiome 2019. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33499955/

Des transplantations fécales pour sauver les koalas. Le Monde du 26 août 2019. https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/08/26/des-transplantations-fecales-pour-sauver-les-koalas_5503055_1650684.html

 

Le koala est un herbivore à l’alimentation hautement spécialisée. Certains individus ne peuvent manger que certaines espèces d’eucalyptus. En Australie, à cause de la déforestation, certaines populations de Koala ne trouvaient plus les bonnes variétés de plantes pour leur alimentation. Devant la disparition progressive des ces koalas, des chercheurs ont utilisés des transplants fécaux d’autres koalas pour leur donner la capacité de manger d’autres types d’eucalyptus. En d’autres termes, il s’agissait de leur inoculer de nouvelles bactéries pour qu’elles subsistent dans leur microbiote intestinal. Cette expérience a été couronnée de succès, montrant que le microbiote intestinal pouvait s’adapter grâce à des transplants de microbiote. Cette technique du transplant de microbiote fécal est aussi utilisée avec succès chez l’homme, notamment pour traiter des infections récidivantes à Clostridium difficile, qui provoque des diarrhées sévères et des inflammations du colon (gros intestin).


 

Symbiose et recherche

La symbiose contextuelle rend le microbiote complexe à étudier en laboratoire. En effet, le comportement de chaque espèce bactérienne est étroitement corrélé à son hôte, à son environnement et aux autres bactéries présentes. Jusqu’il y a peu, le moyen d’étude des bactéries le plus courant était la culture bactérienne : il s’agissait d’isoler une souche bactérienne prélevée dans la bouche pour en étudier les effets. Des recherche récentes (Cross et al. 2018) ont montré qu’une bactérie buccale humaine D.Oralis ne pouvait être cultivée en laboratoire que lorsqu’elle était associée à une autre bactérie présente naturellement dans le microbiote buccal humain F. Nucleatum. D.Oralis a un effet pathogène sur le parodonte humain, mais seulement lorsqu’elle est associée à F.Nucleatum, dont elle est dépendante pour sa nutrition. Ainsi, les techniques conventionnelles de cultures bactériennes étaient incapables de mettre en évidence l’effet pathogène de D.Oralis. Seules les avancées techniques récentes ont permis d’examiner les échanges métaboliques entre les différentes bactéries physiquement présentes au sein d’une communauté. Ces techniques ouvrent la voie à une compréhension très différente de l’activité des bactéries, et permet l’émergence de nouveaux concepts scientifiques et médicaux.

 

La culture bactérienne est donc désormais complétée par des techniques permettant d’identifier, outre les bactéries en présence, leurs échanges métaboliques : par exemple, la spectrométrie de masse assistée par laser peut identifier les molécules que s’échangent les bactéries, ainsi que leur répartition dans le temps et dans l’espace. Cette compréhension nouvelle des mécanismes à l’œuvre fait émerger des possibilités de coculture de différentes bactéries avec les métabolites indispensables à leur fonctionnement. Ces progrès scientifiques autorisent notamment la modélisation du comportement des bactéries organisées en biofilm, ce qui est le cas dans le microbiote oral humain.

 

Conclusion

Ainsi, la détection de la présence de certaines bactéries par culture bactérienne est devenue insuffisante. Par le passé, on prélevait de la plaque dentaire, on la cultivait en laboratoire, puis on déduisait de la présence de certaines bactéries les mécanismes de progression de la parodontite (déchaussement des dents). Aujourd’hui, les progrès techniques ouvrent de nouvelles perspectives. La détection des bactéries se fait par séquençage génétique haute fréquence, c’est-à-dire qu’on est capable de coder l’ADN de toutes les bactéries présentes, pas seulement celles qui survivent à la culture bactérienne en laboratoire. Ensuite, la compréhension des interactions entre les différentes bactéries qui vivent en symbiose ouvrent la voie à des cocultures. Des techniques telles que la spectrométrie de masse ou la métagénomique permettent de comprendre les échanges métaboliques entre les bactéries. Enfin, le couplage de techniques de microscopie et de ces techniques de traçage des métabolites permet de comprendre la répartition spatiale et le fonctionnement spécifique des différentes niches de bactéries. C’est donc une nouvelle ère qui s’ouvre dans la compréhension des microbiotes : de l’ère taxonomique, c’est-à-dire une démarche exclusivement basée sur un catalogue des bactéries présentes, on passe à une ère écosystémique, c’est-à-dire une compréhension de l’interaction des bactéries entre elles, avec leur habitat naturel et plus généralement avec leur hôte.

 

Lexique

 

AUXOTROPHE : organisme vivant qui est dépendant de micronutriments fournis par son environnement.

COCULTURE : technique de laboratoire qui consiste à associer différentes souches bactériennes dans un milieu de croissance in vitro.

CULTURE BACTÉRIENNE : technique de laboratoire qui vise à faire se développer des bactéries prélevées chez un humain dans un milieu de croissance in vitro.

DYSBIOSE : déséquilibre dans un microbiote aboutissant à différentes pathologies.

ENZYMES : petites protéines produites par les cellules ou les bactéries, et permettant d’initier ou de faciliter une réaction chimique, comme la métabolisation de nutriments.

MÉTAGÉNOMIQUE : aussi appelée génomique environnementale, c’est une méthode d’analyse qui consiste à étudier les différentes souches bactériennes dans leur milieu naturel.

MICROBIOME : ensemble du microbiote et de son environnement naturel.

MICROBIOTE : ensemble des bactéries vivant dans une niche écologique donnée.

PATHOBIONTES : bactéries présentes naturellement dans le microbiote buccal, mais potentiellement agressives pour le parodonte. Elles sont responsables de la parodontite, lorsque leur population dépasse une certaine concentration.

SPECTROMÉTRIE DE MASSE : technique de laboratoire qui consiste à analyser les molécules en présence grâce à leur masse moléculaire.

SYMBIOSE : état d’équilibre entre le microbiote et son hôte, homéostasie, santé. On parle de microbiote symbiotique en période de santé, et de microbiote dysbiotique en période de maladie.



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