GUERISON
L’émergence des maladies chroniques a donc changé le rapport des patients et des soignants à la maladie. « La maladie chronique est définie par l’OMS comme un problème de santé qui nécessite une prise en charge pendant plusieurs années, et dont le retentissement sur la qualité de vie des patients et de leur environnement, familial et professionnel est considérable. Cette définition montre à quel point la définition de la maladie a profondément changé. La maladie n’a pas basculé du côté de la mort mais du côté de la vie : être malade signifie désormais plus souvent vivre avec un mal qu’y succomber directement, voire vivre mal avec un mal qui vit. » (page 29).
La parodontite n’engendre que rarement des séquelles graves. La perte d’une dent, ou même des dents, n’engendre pas de pronostic vital. Le passage des bactéries buccales dans la circulation sanguine peut causer des problèmes cardiaques, ou aggraver un diabète. Mais dans la très grande majorité des cas, les conséquences d’une parodontite guérie se limitent à des modifications des fonctions buccales. La parodontite n’en questionne pourtant pas moins la notion de guérison. La guérison n’est plus le retour à un état antérieur, mais l’invention d’une nouvelle façon de vivre avec un nouvel état physiologique. Là encore, Cynthia Fleury nous arme de connaissances théoriques pour faire face aux difficultés que nos patients éprouvent pour apprendre à vivre après la fin du traitement. « Avec Canguilhem, la maladie devient une question de normativité et non pas d’anormalité : la maladie étant la diminution de la faculté à inventer de nouvelles normes de vie, l’enjeu devient alors pour les soignants de consolider les capacités de l’individu (qu’il soit malade ou non), et non lui faire viser un retour à l’état antérieur, ce qui demeure illusoire. » (page 13).
L’anticipation de cette difficulté, intervenant en fin de traitement, permet au soignant de préparer son patient dès le début du traitement. En parodontie, l’état de guérison que recherche le parodontiste peut être perçu comme un état plus détérioré que l’état initial par le patient. Lorsqu’une vive inflammation parodontale est présente au début du traitement, la gencive gonflée peut être perçue à un niveau considéré comme normal par le patient. La résolution de l’inflammation, recherchée par le parodontiste, engendre un dégonflement des gencives, et une apparition de toute une série de phénomènes, cette fois détectables par le patient : dents plus longues et plus sensibles, modification du sourire, et apparition de triangles noirs entre les dents. Il s’agit là de séquelles de la parodontite, et non du traitement parodontal. Mais pour le patient, il est parfaitement contre-intuitif d’avoir des dents plus dénudées et des gencives plus rétractées après le traitement parodontal qu’avant. L’anticipation de cet état de guérison, surprenant pour le patient, est primordial pour l’acceptation du traitement. C’est pourquoi le travail sur l’abandon de l’idée selon laquelle la guérison est un retour à l’état antérieur doit débuter avant la fin du traitement.