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Fan & Caton Traumatisme occlusal : revue narrative, définitions et considérations diagnostiques. J Periodontol. 2018;89(Suppl 1):S214–S222.
Cet article est une revue narrative : il s’agit d’un panorama de l’ensemble des connaissances scientifiques disponibles sur le sujet. Il a été écrit et publié dans le cadre de la rédaction de la nouvelle classification des maladies parodontales de 2018. A ce titre, il a vocation à tirer de ces connaissances scientifiques des recommandations de traitement pour tous les parodontistes.
Le traumatisme occlusal est une force excessive appliquée sur les dents, occasionnant une blessure, infligée aux dents et au parodonte (gencive, os, ligament et cément : pour une description des 4 tissus du parodonte, voir la rubrique gingivite). Le traumatisme occlusal est difficile à diagnostiquer cliniquement, et ses traitements restent difficiles à mener aujourd’hui également, faute de preuves scientifiques.
HISTORIQUE
Le rapport entre forces occlusales traumatiques et destruction parodontale est un sujet d’étude ancien en parodontie. On retrouve la trace de ce concept dans un article allemand datant de 1901. Puis, jusqu’à la décennie 1940, le traumatisme occlusal était considéré comme la cause principale de la parodontite, alors appelée « pyorrhée alvéolaire ». Un auteur américain de l’époque, PR Stillman, a notamment décrit ce phénomène. Il nous a également légué certaines observations, aujourd’hui encore utilisées : les fentes de Stillman (Stillman’s cleft) sont des blessures de la gencive, et elles portent toujours le nom de Stillman qui a été le premier à les décrire.
Puis, à partir des années 40, certains auteurs ont commencé à réaliser des études basées sur des autopsies humaines, ainsi que des expérimentations animales : ils ont remarqué que la plaque dentaire et le tartre étaient systématiquement associés à la destruction parodontale. Ils ont ainsi mis en évidence la cause bactérienne de la parodontite. La parodontite est alors devenue une maladie multifactorielle, et on parlait de co-destruction, initiée par le traumatisme occlusal et le facteur bactérien.
Ce facteur bactérien a été largement décrit par Waerhaug dans les années 70, et son concept de « front de plaque » est toujours d’actualité. La plaque dentaire se créée à l’interface entre la dent et la gencive, puis progresse en direction la racine, décrochant ainsi la dent de la gencive (pour voir une dent extraite à cause du tartre qui a atteint le bout de la racine, voir la rubrique symptômes de la parodontite).
Deux équipes ont tentés par la suite, entre 1975 et 1983, de découvrir le poids relatif de chacun de ces facteurs dans l’étiologie de la parodontite (c’est-à-dire dans les multiples causes de la parodontite). Leurs travaux ne seraient plus possibles aujourd’hui, car il s’agissait d’expérimentations animales sur des singes et sur des chiens. L’équipe de Polson à Rochester aux États-Unis a appliqué des forces orthodontiques répétées sur des dents de singes, et l’équipe de Lindhe en Suède a réalisé des restaurations dentaires en « surocclusion » chez des chiens Beagle, c’est-à-dire trop hautes et générant des forces traumatiques sur les dents. Malgré les différences de méthode, les travaux menés en parallèle par ces deux équipes ont abouti à des résultats similaires : dans ces modèles expérimentaux, le traumatisme occlusal aggravait la destruction parodontale, mais seulement en présence de plaque dentaire. En l’absence de plaque dentaire et d’inflammation parodontale, le traumatisme occlusal ne causait pas de dommages irréversibles aux tissus parodontaux. Les auteurs en ont conclu que le traumatisme occlusal n’était pas une cause de la parodontite.
Des études plus récentes (années 2000) ont étudié la destruction parodontale au niveau moléculaire en présence de traumatisme occlusal chez des rats. Ces études ont confirmé le concept de cofacteur : le traumatisme occlusal seul ne peut pas causer une parodontite, en revanche, le traumatisme occlusal en présence d’inflammation parodontale aboutira à une destruction plus rapide du parodonte. Ces études ont aussi montré que d’autres cofacteurs, comme le tabac et le diabète, venaient également aggraver l’effet du traumatisme occlusal dans le cadre d’une parodontite (pour plus d’informations, voir les rubriques parodontite et diabète et tabac et parodonte).
Ainsi, le traitement de la parodontite est aujourd’hui basé sur un concept étiologique multifactoriel : c’est-à-dire que la cause principale et commune à toutes les parodontites est le facteur bactérien (voir la rubrique parodontite), mais que la prise en charge des cofacteurs est importante, parmi lesquels on retrouve le traumatisme occlusal.
DIAGNOSTIC CLINIQUE
Le dépistage et le diagnostic des traumatismes occlusaux directement en bouche est complexe. Le vrai diagnostic du traumatisme occlusal ne peut se faire qu’histologiquement, c’est-à-dire en extrayant non seulement la dent mais aussi le parodonte environnant. Autant dire qu’il est impossible de véritablement diagnostiquer un traumatisme occlusal en pratique clinique courante. Les praticiens utilisent donc des signes cliniques substitutifs pour asseoir leur présomption de traumatisme occlusal. Les auteurs de la revue ont pu relever 10 de ces symptômes, pouvant signifier qu’il existe un traumatisme occlusal. Ces symptômes sont réunis dans le tableau ci-dessous :
Cependant, aucun de ces symptômes ne signifie à lui seul qu’il existe un traumatisme occlusal, et chacun de ces symptômes peut avoir une autre cause. La cause la plus fréquente est la perte d’attache, nom scientifique du déchaussement : si le parodonte tient moins bien la dent, alors des forces de mastication normales pourront provoquer ces symptômes. Cette complexité d’évaluation du traumatisme occlusal rend malaisés son diagnostic, sa prise en charge, et aussi la réalisation d’études cliniques avec des conclusions à forte valeur scientifique.
Il n’est pas question ici de discuter en détail chacun de ces symptômes, mais les trois premiers méritent qu’on s’y arrête, pour mieux comprendre le diagnostic et le traitement du traumatisme occlusal en parodontie. Le fremitus est une donnée purement clinique : le praticien pose la pulpe de son doigt sur la dent du patient, et lui demande de claquer des dents. S’il sent la dent bouger lors des contacts, on parle alors de fremitus, ce qui correspond à une mobilité de la dent, pas forcément détectable à l’œil, et causée par le traumatisme occlusal. Le diagnostic de fremitus permet donc de corréler la mobilité au traumatisme occlusal. Les études cliniques montrent que les dents avec un fremitus présentent une sévérité accrue de la parodontite, et répondent moins bien au traitement parodontal. Ces études cliniques accréditent les conclusions des études expérimentales, selon lesquelles le traumatisme occlusal est un facteur aggravant de la parodontite. Elles confirment donc qu’un traitement du traumatisme occlusal est souhaitable, afin d’améliorer les résultats de la thérapeutique parodontale.
Contrairement au fremitus, la mobilité peut exister indépendamment du traumatisme occlusal. Elle est mesurée par une échelle, après mobilisation de la dent sans contact avec la dent antagoniste, à l’aide de deux instruments. La mobilité est un phénomène aussi fréquent que difficile à interpréter en parodontie. Elle peut résulter du traumatisme occlusal, mais aussi de la perte d’attache (couramment appelée déchaussement) ou de l’inflammation parodontale (voir la rubrique gingivite). Les études cliniques ont montré que la mobilité était associée à la perte d’attache (sévérité du déchaussement), et qu’elle affectait les résultats des thérapeutiques parodontales. Cependant, la relation de causalité entre traumatisme occlusal et mobilité n’a pas pu être démontrée.
Les différents types de mauvais contacts dento-dentaire sont nombreux, et difficilement appréhendables exhaustivement. Leur nocivité respective n’en est que moins précisable. Toutefois, les plus évidents d’entre eux ont pu être étudiés : par exemple, le contact prématuré est un contact entre deux dents, intervenant juste avant que toutes les autres dents n’entrent en contact, lorsque le patient serre les dents. Ces contacts répétés, et donc majorés en un seul endroit, engendrent un traumatisme occlusal, par forces occlusales excessives appliquées en un seul point. Tout comme la mobilité des dents, il a été montré que ces contacts excessifs majoraient la sévérité de la parodontite et diminuaient le pronostic des traitements parodontaux.
Ainsi, un diagnostic véritable ou exhaustif du facteur occlusal reste cliniquement impossible en l’état des connaissances. Toutefois, le dépistage et la correction des éléments les plus évidents est susceptible d’améliorer les traitements parodontaux. C’est pourquoi un certain nombre de recommandations peuvent être déduites de ces connaissances.
TRAITEMENTS DU TRAUMATISME OCCLUSAL
Il est recommandé d’éliminer les traumatismes occlusaux les plus évidents lors de la prise en charge initiale parodontale. Les contacts prématurés seront réduits, et les patients qui bruxent se verront proposer une gouttière (le bruxisme est le fait de serrer les dents de façon anormale et répétée, la nuit par exemple). Pour la thérapeutique chirurgicale, toute mobilité doit être éliminée afin de garantir une bonne cicatrisation des chirurgies. C’est pourquoi des contentions (c’est-à-dire coller les dents aux dents adjacentes), temporaires ou définitives, pourront être proposées.
Les relations entre récessions parodontales et traumatismes occlusaux ont aussi été étudiées. La problématique est la suivante : le traumatisme occlusal aggrave-t-il les récessions parodontales, et si oui, gagne-t-on à réduire le traumatisme occlusal avant une éventuelle greffe de gencive ? La récession parodontale est une dénudation de la racine dentaire, qui peut exister dans le cadre d’une parodontite ou sans parodontite (pour de plus amples renseignements, voir la rubrique récession parodontale). Stillman avait suggéré que les fentes portant son nom étaient causées par des forces occlusales excessives. Mais les connaissances actuelles ne permettent pas de faire le lien entre traumatisme occlusal et récessions parodontales. Si on utilise aujourd’hui toujours le terme de fente de Stillman, on attribue désormais cette anomalie au brossage traumatique (pour plus de détails, consulter la rubrique conseils de brossage).
La récession parodontale est souvent associée à des lésions cervicales non carieuses, qui sont des pertes de tissu dentaire consécutives à la dénudation de la racine. A ce sujet, la théorie de l’abfraction a été proposée à la fin des années 70 : l’abfraction serait le phénomène selon lequel une dent s’userait sur le côté à cause d’un traumatisme occlusal, c’est-à-dire de forces excessives appliquées sur le sommet de la dent. Mais aucune preuve scientifique ne permet aujourd’hui d’affirmer qu’il existe un lien de causalité entre les lésions cervicales non carieuses et le traumatisme occlusal.
Les recommandations de traitement sont donc les mêmes pour les récessions parodontales avec lésions cervicales non carieuses que pour les prises en charge parodontales classiques : élimination des traumatismes occlusaux les plus évidents, résolution de l’inflammation parodontale par thérapeutique non chirurgicale (pour plus de détails, consulter la rubrique surfaçage radiculaire), et contention temporaire ou définitive des dents qui présentent une mobilité persistante à la réévaluation, avant la greffe de gencive (voir le chapitre greffe de gencive).
CONCLUSIONS
Ainsi, il existe aujourd’hui un consensus sur l’absence de lien de causalité entre traumatisme occlusal et destruction des tissus parodontaux (parodontite ou récession gingivale). C’est-à-dire que le traumatisme occlusal ne crée pas à lui seul de dégâts sur le parodonte, a fortiori en l’absence d’inflammation et de plaque dentaire. Néanmoins, il existe une association entre traumatisme occlusal et destruction parodontale : le traumatisme occlusal est considéré comme un facteur aggravant de la parodontite, en présence de tissus inflammatoires. Par conséquent, le traumatisme occlusal doit être dépisté lors de la prise en charge parodontale, et des traitements simples (réglage occlusal par soustraction ou contention) peuvent être entrepris pour diminuer ses effets néfastes, en parallèle de la prise en charge parodontale classique.